Entretien avec le nouveau Secrétaire général du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
Mathieu Mori vient d’être élu Secrétaire général du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe pour un mandat de cinq ans. Ancien secrétaire général de l’Assemblée des Régions d’Europe, puis directeur du programme de coopération transnationale Interreg Europe du Nord-Ouest, les collectivités locales et régionales ont toujours été au cœur de son engagement professionnel.
Monsieur Mori, vous prendrez vos fonctions en janvier prochain. En quelques mots, quelles sont les priorités de votre mandat ?
Le Congrès est une institution qui aide les 46 États membres du Conseil de l’Europe à mettre en œuvre la démocratie locale et régionale, conformément à la Charte européenne de l’autonomie locale. C’est sa mission statutaire. Pour la remplir efficacement, le Congrès doit coopérer avec les États membres. Le développement d’une relation institutionnelle constructive entre le Congrès et le Comité des ministres constitue donc une priorité. Renforcer les liens avec d’autres institutions, comme l’Assemblée parlementaire et les institutions de l’Union européenne, sera également un objectif majeur.
Par ailleurs, le Congrès ne peut se renforcer que grâce à l’implication de ses membres. Je m’efforcerai d’accroître l’appropriation du Congrès par ses membres, en veillant à ce que chacun sache comment contribuer au mieux à ses travaux, et ce qu’il peut en retirer pour ses propres citoyens.
Enfin, je souhaite promouvoir le rôle des jeunes au sein du Congrès. Grâce à ses délégués jeunesse qui participent activement à son travail politique, le Congrès est déjà bien engagé. Je veillerai à ce qu’il reste une organisation de référence en matière d’implication des jeunes.
Cette convention internationale définit les normes de protection des droits des collectivités locales et oblige les 46 États membres du Conseil de l’Europe – qui l’ont tous ratifiée – à respecter un certain nombre de principes.
Fort de votre expérience auprès des collectivités, quels sont selon vous les principaux progrès démocratiques obtenus grâce aux recommandations du Congrès ?
Le Congrès a en effet un bilan solide et documenté en matière de soutien à la démocratie locale et régionale dans les États membres, notamment par ses missions de suivi et d’observation des élections.
Les recommandations issues de ces missions ont permis à de nombreux États d’engager des réformes, de renforcer la coopération intercommunale ou d’améliorer la participation citoyenne à la vie publique.
Parmi les principales avancées concrètes, on peut citer :
- L’activation du rôle des associations d’autorités locales pour défendre l’autonomie locale dans plusieurs pays (Bosnie-Herzégovine, Hongrie, Portugal, Suisse, Islande, Géorgie, Lituanie et Pologne) ;
- L’adoption d’instruments juridiques favorisant la participation citoyenne aux affaires locales (Suisse, Islande, Géorgie, Slovénie, Lituanie, Liechtenstein) ;
- La ratification croissante du Protocole additionnel à la Charte européenne sur le droit de participer aux affaires locales – le Portugal l’a ratifié en septembre 2022 ;
- La décision du Parlement écossais d’intégrer la Charte dans le droit interne écossais ;
- Une stratégie de décentralisation en Bulgarie, accompagnée d’un renforcement des ressources des communes ;
- Et l’introduction de l’élection directe des maires en Géorgie.
À l’inverse, constatez-vous un recul démocratique dans certaines régions ou un danger pour l’Europe ?
La démocratie n’est jamais acquise, que ce soit au niveau national ou local. Aucun pays ne peut la considérer comme définitivement acquise, d’autant moins en période de crise.
C’est pourquoi le Congrès réalise régulièrement un suivi de l’application de la Charte dans les 46 États membres.
Nous constatons une tendance à la recentralisation dans de nombreux pays. Celle-ci prend plusieurs formes : refus d’appliquer directement la Charte, limitation de l’autonomie financière des collectivités, ou encore supervision excessive.
De manière générale, l’absence de concertation, la mauvaise répartition des compétences et des ressources, ainsi qu’un encadrement trop rigide, sont des problèmes récurrents constatés dans de nombreux pays. Ces éléments mènent, directement ou indirectement, à un affaiblissement de la démocratie locale et régionale.
Par ailleurs, le Congrès alerte sur les menaces et violences auxquelles font face de nombreux élus locaux. Ces sujets ont été abordés lors de la série de débats « Les maires sous pression » et dans un rapport récent sur l’impact des discours de haine et de la désinformation sur les conditions de travail des élus locaux. Cette situation dissuade même certains citoyens de se porter candidats à des mandats locaux ou régionaux.
Le Congrès œuvre à sensibiliser les États membres à ces problématiques et à identifier des solutions concrètes.
COVID, Ukraine, crise énergétique, changement climatique… L’Europe traverse de nombreuses crises. Face à ce sombre tableau, comment les collectivités peuvent-elles renforcer durablement leur capacité à faire face à ces crises récurrentes ?
Effectivement, l’Europe traverse une multitude de crises, et ce sont les autorités locales et régionales européennes qui sont en première ligne pour y faire face. Comme on a pu le constater pendant la pandémie de Covid, la première réaction de nombreux gouvernements a été de recentraliser les compétences et les finances, au détriment du niveau local. Cela a mis la démocratie locale sous une pression et des contraintes inédites.
Or, les pays européens qui n’ont pas recentralisé ont su faire face à la crise de manière très efficace. Cela prouve que la gouvernance à plusieurs niveaux ne constitue pas un obstacle à une réponse en temps de crise – au contraire, elle en améliore la qualité. Elle permet une plus grande souplesse et des réponses mieux adaptées aux réalités locales.
L’efficacité d’une réponse repose sur un juste équilibre entre capacités centralisées et décentralisées. La pandémie a démontré l’urgence de renforcer la gouvernance multiniveaux, avec des collectivités locales et régionales dotées de compétences, de moyens et de ressources suffisants pour réagir.
Le Congrès poursuivra donc son accompagnement des États membres du Conseil de l’Europe dans la mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie locale.
Alors que les élus locaux ukrainiens restent pleinement mobilisés auprès de leur population, tragiquement frappée par la guerre, comment le Congrès envisage-t-il de soutenir les collectivités ukrainiennes à long terme ?
Dès le départ, le Congrès a fermement condamné l’agression russe contre l’Ukraine, et le Conseil de l’Europe a décidé d’exclure la Russie de l’institution.
Le Congrès a également soutenu des initiatives concrètes de solidarité, comme la plateforme Cities4Cities, qui facilite les échanges entre collectivités ukrainiennes et européennes autour des besoins en infrastructures et en aide humanitaire.
Ce que j’ai pu constater lors de ma visite en Ukraine, à l’occasion de leur fête nationale en août dernier, c’est que la décentralisation entamée en 2014 sous l’impulsion du Congrès a permis aux villes et régions ukrainiennes d’avoir les moyens de réagir dès les premiers jours de la guerre. Aujourd’hui, la loi martiale a recentralisé les pouvoirs, mais les collectivités attendent que le Congrès soit à leurs côtés pour que leurs compétences leur soient rendues une fois la paix revenue, et que le processus de décentralisation soit finalisé.
L’Ukraine attend aussi du Congrès qu’il l’aide à consolider la démocratie locale, condition essentielle à son adhésion à l’Union européenne.
L’Ukraine peut compter sur le soutien constant du Congrès dans toutes ces dimensions.
Partout en Europe, les villes et collectivités sont engagées dans des coopérations internationales. Quelle est la valeur ajoutée de ce type de coopération par rapport à celle menée entre États ?
Il ne s’agit pas d’une opposition, mais d’une complémentarité. Les collectivités locales et régionales connaissent mieux que quiconque les défis concrets de la mise en œuvre des politiques publiques. Elles sont donc les mieux placées pour coopérer entre elles, au-delà des frontières.
Le Congrès développe des activités de coopération qui font le lien entre les résolutions adoptées et la réalité du terrain.
Nos priorités dans ce domaine sont :
- Renforcer les autorités locales et leurs associations nationales ;
- Former les élus locaux et régionaux comme acteurs du changement ;
- Sensibiliser les jeunes aux principes de la démocratie locale et les impliquer activement à l’échelon local ;
- Favoriser l’apprentissage par la pratique, via des initiatives locales visant à améliorer la qualité démocratique.
En se concentrant sur les domaines où la valeur ajoutée du Congrès est la plus forte, nous évitons les doublons avec d’autres instances du Conseil de l’Europe ou d’autres organisations.
Vous connaissez bien les associations de collectivités comme l’ARE ou le CCRE. Sur quels axes pensez-vous que la coopération entre ces associations et le Congrès devrait être renforcée ?
L’ARE et le CCRE sont des partenaires stratégiques essentiels du Congrès, avec lesquels nous partageons des valeurs communes. Tous deux sont partenaires statutaires du Congrès et participent à nos sessions et réunions de commissions.
Nos échanges réguliers nous permettent de compléter nos travaux respectifs, notamment sur l’Ukraine, les Objectifs de développement durable, la démocratie participative, ou encore l’implication des jeunes.
Avec le CCRE en particulier, nous coopérons étroitement pour renforcer les associations nationales de collectivités locales en tant que partenaires à part entière des autorités nationales.
En tant que réseaux européens, nous pouvons ensemble défendre et promouvoir la gouvernance multiniveaux. Le Congrès apporte une expertise unique sur la démocratie, l’état de droit et les droits humains à l’échelle locale, tandis que le CCRE et l’ARE permettent à un plus grand nombre de collectivités de bénéficier de nos travaux.
Je me réjouis de renforcer cette coopération et de mettre en œuvre des partenariats concrets pour le changement.

Conseillère principal – Gouvernance et relations institutionnelles