Entretien avec le maire de Capaci : “Je rêve d’une Europe inclusive et accueillante”
La migration est un phénomène mondial ayant un impact fort au niveau local. Les villes supportent une part importante de la crise migratoire, en accueillant les nouveaux arrivants – parfois en leur fournissant un soutien vital – tout en tirant profit à long terme d’une intégration réussie. Cela est particulièrement vrai pour les villes et îles du sud de l’Europe, comme en Italie méridionale.
À l’approche de la Journée internationale des migrants (18 décembre), nous avons rencontré Pietro Puccio, porte-parole du CCRE pour les questions migratoires et maire de Capaci, une ville sicilienne engagée dans le projet IncluCities, qui vise à améliorer l’intégration des migrants et à construire des villes plus inclusives. Il partage avec nous l’expérience de sa ville en matière d’accueil, ainsi que sa vision d’une Europe unie, ouverte et inclusive.
Comment Capaci et la région de Palerme ont-elles été affectées par les migrations ces dernières années ? Quels outils les collectivités locales peuvent-elles utiliser, alors que les principales compétences relèvent des gouvernements nationaux ?
Lorsque les responsabilités sont entre les mains des gouvernements nationaux, les autorités locales disposent de peu de marge de manœuvre. Malgré cela, nous pouvons accomplir beaucoup en mobilisant les associations locales et leurs bénévoles engagés et nombreux. Dans notre région, par exemple, un important réseau de solidarité a vu le jour.
Capaci et Palerme ont sans doute été un peu en marge des flux migratoires ces dernières années. Les principales routes d’arrivée ont plutôt concerné Agrigente, Lampedusa, Raguse ou Syracuse, d’où les migrants sont directement relocalisés vers d’autres lieux.
Cependant, le port de Palerme continue de voir d’importants débarquements. Les associations de volontaires y jouent un rôle fondamental dans l’accueil. Grâce à leur travail, nous avons pu apporter une réponse significative face à l’augmentation du nombre de personnes accueillies.
Vous avez souvent affirmé qu’il fallait passer d’une gestion d’urgence de l’accueil à une véritable politique d’inclusion et d’intégration des nouveaux arrivants. Que pensez-vous de la politique migratoire et d’asile de l’UE, notamment à la lumière des récents événements en Afghanistan ?
Maintenir la gestion des migrations à nos seules frontières est une illusion. C’est irréaliste. Il y aura de plus en plus d’urgences dans le monde, notamment à cause de la crise climatique. On passe d’une urgence à l’autre : Syrie, Libye, Afghanistan…
L’Europe peut faire mieux. Elle n’a pas besoin de gendarmes aux frontières, ni d’accords avec le gouvernement illégitime libyen ou le régime d’Erdogan en Turquie.
Si l’on veut éliminer la honte et l’indignité des camps d’accueil dans les Balkans et ailleurs, si l’on veut vraiment aller au-delà de l’urgence immédiate, il faut bâtir une réponse commune et structurée au niveau européen.
Et si l’Europe ne le fait pas, personne ne le fera.
United Cities and Local Governments (UCLG) a lancé le débat sur la Charte de Lampedusa, où les gouvernements locaux et régionaux redéfinissent une notion de citoyenneté fondée sur la dignité, les droits humains, la paix et la mémoire collective, indépendamment du statut des personnes en déplacement. Que pensez-vous de cette nouvelle forme de « citoyenneté locale inclusive » que CGLU développe avec ses membres ?
L’Europe est le berceau de la civilisation mondiale et elle doit repartir sur la base de la dignité humaine et du respect des droits de l’homme pour tous. Mais il y a aussi un avantage économique majeur. Je vous donne un exemple : près de chez nous, il y a une commune voisine, Balestrate, où l’on cultive désormais des mangues sur plusieurs hectares. Les mangues sont normalement un fruit tropical, mais en raison du changement climatique, les conditions en Sicile sont devenues favorables à leur culture.
Les nouveaux arrivants peuvent devenir de nouveaux consommateurs. L’immigration peut ainsi créer de nouvelles opportunités économiques et des emplois. Si l’Europe veut formuler une réponse globale, elle devrait miser sur le travail décent, les opportunités d’emploi et le respect des droits humains.
Quel est l’enseignement principal que Capaci pourrait tirer du projet IncluCities ? Quel changement souhaitez-vous commencer à mettre en œuvre dans votre ville ?
Capaci est une ville qui possède une culture ancienne de l’accueil, mais ces dernières années, cette culture s’est en partie perdue. La peur a pris le dessus, la peur d’avoir un voisin un peu différent.
En participant à IncluCities, j’espère que la ville retrouvera l’esprit d’accueil que nous avons connu, qu’elle n’aura plus peur de ceux qui ont une peau d’une autre couleur, une religion différente ou une orientation politique différente. Je crois que c’est une chance exceptionnelle pour notre ville.
La première chose que je voudrais voir, c’est que les nouveaux arrivants n’aient plus peur, qu’ils sortent de chez eux, qu’ils se promènent, qu’ils jouent avec leurs enfants sur les places, qu’ils socialisent dans les lieux publics, et qu’ils rencontrent les habitants de Capaci. C’est le plus beau changement que je souhaite pour notre ville.
Quel est votre plus grand rêve en tant que citoyen italien et maire de Capaci pour l’avenir de l’Europe ? Quel rôle la migration devrait-elle jouer dans la Conférence sur l’avenir de l’Europe ?
Le thème de l’immigration est central dans le contexte mondial. Il suffit de regarder ce qui se passe en Amérique du Sud, à la frontière avec les États-Unis, ou ce qui se passe chaque jour ici en Europe. La migration doit occuper une place centrale et déterminante dans les discussions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
Je rêve de l’Europe de nos pères fondateurs – Altiero Spinelli, Schuman – une Europe inclusive, où chacun a droit à la citoyenneté et au respect de ses droits humains.
La pandémie, qui malheureusement continue, nous a appris une chose essentielle : nous avons besoin les uns des autres. On ne peut battre le COVID que si chacun est vacciné. S’il y a une partie non vaccinée, on ne peut pas gagner. Nous sommes tous liés.
Mon rêve, c’est que nous travaillions ensemble à une Europe inclusive, tolérante et accueillante. Une Europe fédérale où personne n’est laissé de côté, où chaque citoyen compte, où chaque opinion est entendue.
L’avenir de l’Europe, c’est mon rêve !

Chargée de mission Genre, Diversité et Migration