Le Pacte vert à la croisée des chemins : enseignements des 100 premiers jours
En 2019, la Commission européenne annonçait un « moment historique » avec le lancement de l’initiative phare de la nouvelle présidente Von der Leyen : le Pacte vert. Cinq ans plus tard, après des ajustements et des revers, la trajectoire reste-t-elle inchangée ? Sous la pression croissante du déclin de la compétitivité industrielle européenne, des enjeux de sécurité énergétique et des défis géopolitiques sans précédent, le Pacte vert se trouve à un tournant critique. Officiellement, la transition reste une priorité pour la nouvelle Commission, mais sa mise en œuvre est marquée par des ajustements stratégiques et des compromis qui tendent à redéfinir son ambition initiale.
Pour les collectivités locales et régionales, les enjeux sont majeurs. Depuis le lancement du Pacte vert, elles sont en première ligne de la transition écologique, avec l’adoption d’une longue série de législations européennes encadrant la mise en place coûteuse de plans de mobilité durable, le déploiement des énergies renouvelables et la modernisation des infrastructures pour atteindre les objectifs climatiques. Pourtant, la tendance croissante à la nationalisation des politiques et des financements européens menace de les marginaliser et de concentrer les investissements dans des territoires déjà bien positionnés, alors même que l’action sur le terrain doit être renforcée.
Un modèle de gouvernance de plus en plus centralisé pour la transition écologique
Depuis l’entrée en fonction de la présidente Von der Leyen, l’UE a adopté une approche de plus en plus centralisée pour la mise en œuvre de ses politiques, faisant des gouvernements nationaux les principaux interlocuteurs. Les Plans nationaux énergie-climat, les Plans sociaux pour le climat, la Facilité pour la reprise et la résilience, ainsi que les Plans nationaux de restauration de la nature ont renforcé ce modèle. Officiellement justifié par des impératifs d’efficacité et de simplification, ce choix a en réalité creusé un fossé en matière de gouvernance : alors que les collectivités locales sont responsables de plus de 70 % des mesures d’atténuation du changement climatique, elles sont souvent exclues de l’élaboration des stratégies nationales qui les concernent directement.
Aujourd’hui, les collectivités locales sont largement écartées des processus de décision. Selon le rapport du CCRE « Perspectives locales de la transition verte pour un Pacte vert inclusif et compétitif », plus des deux tiers des collectivités interrogées déclarent ne pas avoir eu l’opportunité de participer aux consultations sur la transposition de la législation verte, et seulement 4 % des régions et municipalités estiment avoir été réellement prises en compte.
La prochaine révision du budget de l’UE (CFP) pourrait aggraver cette tendance. L’idée de regrouper tous les financements climatiques et de transition verte dans un seul plan national gagne du terrain. Sur le papier, cela semble plus simple. Mais cela risque d’affaiblir davantage le rôle des collectivités locales, en les réduisant à de simples exécutants de stratégies descendantes, plutôt que de les considérer comme des acteurs essentiels de la transition. (En savoir plus dans le document de position du CCRE sur le CFP ici.)
L’OCDE souligne l’importance d’une approche territoriale de l’action climatique, recommandant que les gouvernements nationaux facilitent l’élaboration d’objectifs climatiques infranationaux adaptés aux réalités locales et garantissent un financement adéquat pour leur mise en œuvre. Sans implication directe dans l’élaboration des stratégies nationales, les collectivités locales et régionales se retrouvent avec des ressources limitées et peu d’influence, malgré leur rôle clé dans la construction de stratégies d’investissement à long terme sur le terrain.
Une transition verte qui ne peut être déconnectée des territoires
Le rapport Draghi a souligné l’urgence pour l’Europe d’accélérer sa transition vers une économie neutre en carbone et de déployer des investissements massifs dans les technologies vertes pour renforcer la compétitivité européenne. Décarbonation de l’industrie, déploiement des énergies renouvelables, développement des infrastructures de transport durable : le succès de ces priorités politiques dépend fortement d’une approche territoriale. Où seront situées les nouvelles vallées de l’hydrogène ? Comment les zones rurales s’adapteront-elles aux nouveaux usages des sols et à la production d’énergie ? Quel rôle les villes moyennes joueront-elles dans la politique industrielle verte ? Comment renforcer les pôles de compétitivité pour structurer ces dynamiques locales et créer des synergies entre entreprises, centres de recherche et collectivités locales ? Autant de questions qui ne peuvent être résolues uniquement au niveau national. (Lire aussi notre réaction à la Boussole de la compétitivité.)
Ignorer cette dimension comporte des risques majeurs. Sans approche territorialisée, la mise en œuvre du Pacte vert pourrait conduire à une concentration des investissements et des emplois verts dans quelques régions déjà compétitives, laissant les autres en difficulté pour attirer des financements. La politique de cohésion, qui a historiquement été le principal outil de l’UE pour assurer un développement équilibré, devrait être au cœur de la mise en œuvre de la politique industrielle verte de la nouvelle Commission européenne.
Intégrer la gouvernance multiniveaux dans la transition verte
Alors que l’UE entre dans une nouvelle phase de son action climatique, elle doit résoudre une contradiction fondamentale : le Pacte vert ne pourra réussir que s’il est mis en œuvre localement, mais son modèle de gouvernance devient de plus en plus centralisé. Si la Commission européenne souhaite véritablement atteindre la neutralité climatique tout en préservant la cohésion sociale et territoriale, elle doit développer un cadre de gouvernance robuste et inclusif.
Dans cette optique, trois priorités doivent guider l’approche de l’UE :
1️⃣ Accorder aux collectivités locales et régionales un rôle formel dans l’élaboration des plans nationaux de mise en œuvre de la législation européenne. Ces plans ne doivent pas être de simples exercices technocratiques mais de véritables processus de co-construction.
2️⃣ Préserver et renforcer l’accès des collectivités locales et régionales aux financements européens. Les idées émergentes de la Commission pour le prochain budget — notamment un recentrage sur un plan national unique et un éventuel fonds européen unique pour la compétitivité — risquent d’écarter les acteurs locaux et de concentrer les ressources dans les régions déjà compétitives, privant les autres des moyens financiers nécessaires pour réussir leur transition. Garantir un accès direct aux financements pour les collectivités locales est essentiel pour éviter des disparités croissantes en matière d’investissements.
3️⃣ Reconnaître les collectivités locales et régionales comme des investisseurs majeurs. Elles représentent plus de la moitié des investissements publics dans les infrastructures liées au climat. Leur capacité d’investissement doit être renforcée, et non entravée.
Faire avancer le Pacte vert de manière collaborative et adaptée aux territoires permettra non seulement d’améliorer la compétitivité de l’UE, mais aussi de la positionner en leader dans la transition mondiale vers une économie plus durable. Face à un contexte géopolitique, économique et écologique en mutation rapide, un modèle de gouvernance plus inclusif, reconnaissant un rôle formel aux collectivités locales et régionales, est plus crucial que jamais.
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Conseillère – Environnement et mobilité