Maires français et crise ukrainienne : Entretien avec Christophe Chaillou
Dans le cadre d’une série d’entretiens avec les dirigeants locaux impliqués dans le projet IncluCities, nous avons rencontré Christophe Chaillou, maire de Saint-Jean-de-la-Ruelle (France), pour évoquer la crise ukrainienne, l’intégration des migrants et le rôle des collectivités locales.
Maire depuis 1998 et conseiller départemental du Loiret depuis 2001, Christophe Chaillou est également Directeur général de l’Association française du Conseil des Communes et Régions d’Europe (AFCCRE).
Avec plus de 4 millions de réfugiés ukrainiens en Europe, nous assistons au plus grand mouvement migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Que cela implique-t-il pour les gouvernements locaux et régionaux ?
Les municipalités et les régions jouent un rôle de premier plan dans la gestion quotidienne des grandes crises. En réponse à l’émotion des citoyens et aux élans de solidarité, les collectivités territoriales ont immédiatement agi pour accueillir les réfugiés, chacune selon ses compétences. Elles ont été en première ligne pour identifier les possibilités d’hébergement sur leur territoire.
Les associations nationales de collectivités comme l’AFCCRE sont également mobilisées. Quel rôle peuvent-elles jouer pour soutenir les Ukrainiens ?
Ces associations soutiennent à juste titre ces actions, notamment dans les pays les plus touchés par l’afflux massif de personnes déplacées. J’ai pu le constater récemment en Roumanie, où les maires et autres élus sont mobilisés pour gérer et anticiper cette situation en constante évolution.
L’AFCCRE travaille avec les associations de collectivités des pays les plus concernés afin de faire remonter les besoins de leurs collectivités locales auprès de leurs homologues français, comme ce fut le cas lors d’une réunion en ligne avec nos collègues polonais, le 31 mars. En solidarité avec les citoyens ukrainiens et les élus locaux, l’AFCCRE a également partagé avec ses membres la Déclaration du CCRE sur l’Ukraine.
Votre ville, Saint-Jean-de-la-Ruelle, se montre solidaire de l’Ukraine. Vous avez décidé de mener des actions en partenariat avec votre ville jumelée Niepolomice, en Pologne, elle-même jumelée avec Kobeliaky, en Ukraine. Quelles sont les actions prévues ?
Notre ville jumelle est confrontée à l’arrivée massive de réfugiés : plus de 2 000 en dix jours. Elle a dû mobiliser toutes ses ressources pour les accueillir, avec le soutien déterminant des citoyens et des grandes associations. Nous avons aussitôt proposé notre aide, qui va se concrétiser dans les prochains jours.
Par exemple, dans le domaine de l’éducation, nous allons contribuer au financement de cours de langue. Notre Conseil municipal a voté à l’unanimité une aide financière de 30 000 € en soutien aux citoyens ukrainiens, dont 10 000 € destinés spécifiquement à notre jumelle polonaise. Cette somme permettra de financer des cours de langue dans la bibliothèque municipale de Niepolomice pour les familles ukrainiennes hébergées.
Nous assistons à un moment sans précédent d’unité européenne dans l’accueil des réfugiés ukrainiens. La proposition de la Commission européenne d’activer la directive sur la protection temporaire leur offrirait un droit de séjour ainsi qu’un accès au marché du travail et à l’école. Pourtant, des inquiétudes ont été soulevées concernant des discriminations à l’égard d’autres populations réfugiées. Quelle est votre position ?
Je suis profondément attaché à la tradition d’accueil et de protection des personnes, en particulier de celles qui demandent l’asile. C’est pour moi un droit humain fondamental et une valeur essentielle de l’Europe. Dans cet esprit, nous avons accueilli une famille syrienne dans notre commune, et j’avais également exprimé ma volonté de recevoir une famille afghane l’été dernier.
L’intégration des réfugiés ukrainiens est un défi majeur. Comment les villes et autres collectivités locales peuvent-elles s’y préparer ?
Nous sommes particulièrement conscients de ce défi. Nous savons que les personnes qui arrivent sont principalement des femmes et des enfants, et nous veillerons à prendre en compte leurs besoins spécifiques. C’est pourquoi nous mettons en place un accompagnement psychologique adapté à leur situation familiale et nous assurerons la scolarisation des enfants.
À l’approche de l’élection présidentielle en France, quel rôle joue l’immigration dans les débats politiques ?
Cette question a polarisé les débats dès le début de la campagne, en offrant — avec l’appui des médias et des réseaux sociaux — une tribune de choix aux populistes. La guerre en Ukraine est venue bouleverser ce cycle de haine et de rejet.
Revenons à Saint-Jean-de-la-Ruelle, à Orléans Métropole et au département du Loiret. D’où proviennent les populations d’origine migrante ?
Nos territoires comptent des communautés issues des grandes vagues migratoires, notamment celles liées au développement économique et aux besoins en main-d’œuvre : Europe du Sud, Maghreb, Afrique subsaharienne, Turquie et, plus récemment, Europe de l’Est.
Votre partenaire municipal dans le cadre du projet IncluCities est la Ville de Bruxelles. Vous entretenez également des liens étroits avec six autres villes et associations de collectivités via le réseau IncluCities. Que signifie cette coopération directe entre villes et quelles sont vos attentes vis-à-vis de ce projet ?
Notre commune a toujours privilégié la coopération, les échanges, l’ouverture et le travail en réseau. L’échange de bonnes pratiques, notamment au niveau européen, est une démarche extrêmement enrichissante pour nous. IncluCities est une occasion de bénéficier de l’expérience de la Ville de Bruxelles et des autres villes européennes participantes pour renforcer notre savoir-faire et capitaliser sur notre propre expérience en matière d’accueil des migrants. Avec l’arrivée de milliers de réfugiés ukrainiens dans nos territoires, nous aurons plus que jamais besoin de progresser dans ce domaine, et d’aller au-delà d’une simple réponse à une urgence humanitaire.

Directeur – Projets et programmes