Interview exclusive : Corina Creţu sur l’avenir de la politique de cohésionQu’arrivera-t-il à la politique de cohésion lors de la prochaine révision du budget de l’UE en 2020 ? Quelle forme devrait-elle prendre pour répondre aux défis actuels, tels que le changement climatique ou les flux migratoires ? Maintenant que les débats sur l’avenir de la politique de cohésion ont été lancés, nous avons interviewé la commissaire européenne à la politique régionale, Corina Creţu.
Les débats sur l’avenir de la politique de cohésion ont été lancés. Quels sont, d’après vous, les aspects qui donneront lieu à des négociations intenses ?
rnSelon moi, la politique de cohésion devrait rester la principale politique d'investissement et d'innovation en faveur d'une croissance intelligente, durable et inclusive et de la création d'emplois pour les citoyens de toute l'Europe. Je pense que les négociations les plus intenses auront pour sujet la recherche d'un juste équilibre entre la réforme et la continuité.
rnPour ne donner qu'un exemple, nous devons discuter de comment rendre plus flexible la politique de cohésion tout en préservant un cadre stable pour les investissements dans toutes les régions de l'UE, à moyen et à long terme. Nous devons être en mesure d'obtenir des résultats tangibles, et ce d'une manière simple, rapide et favorable aux bénéficiaires, sans toutefois se débarrasser des éléments qui fonctionnent bien dans la pratique.
rnUn autre point important concerne les besoins des Etats members et des régions en matière de développement et de capacités administratives. Ces besoins ne sont pas les mêmes partout. C'est pourquoi nous devons nous assurer que ces divergences de besoins sont davantage reflétées dans le mécanisme de mise en œuvre. D'où les questions suivantes : quels critères objectifs devrions-nous utiliser pour adopter des approches différenciées ? Et quels éléments devraient être « différenciés » ?
rnEnfin, si nous tenons vraiment à améliorer la gestion des fonds européens, au niveau européen et national, nous devrions également explorer les possibilités de réduire les complexités qui découlent de différentes règles utilisées pour les fonds de la politique de cohésion.
Comment peut-on mieux impliquer les collectivités dans la conception de la prochaine période de programmation de la politique de cohésion ?
rnLa politique de cohésion consiste à faire des investissements là où c'est le plus nécessaire, c'est-à-dire au niveau local et régional. Il est donc primordial que les autorités sur le terrain soient impliquées en amont dans l'élaboration de l'avenir de la politique de cohésion.
rnJe suis très reconnaissante envers le CCRE de nous avoir transmis de nombreuses bonnes idées, ainsi que pour sa position et ses propositions sur l'avenir de la politique de cohésion. La préparation du prochain cadre réglementaire (2020-2026) doit être un processus inclusif. A cet égard, le prochain Forum sur la cohésion constituera une excellente occasion d'initier ce travail.
rnNous pouvons aussi nous baser sur les progrès accomplis lors de la période financière 2014-2020. L’implication des collectivités territoriales a été améliorée, notamment grâce au renforcement du principe de partenariat : l’établissement d’un Code de conduite européen sur le partenariat (CCEP) a exigé que les Etats membres engagent un partenariat de travail avec des gouvernements régionaux, locaux et urbains compétents, ainsi qu'avec d’autres acteurs impliqués dans la planification, la mise en œuvre et le contrôle de projets financés par les Fonds structurels d’investissement européens (Fonds ESI). La Commission a été particulièrement attentive à cela lors des négociations sur les Accords de partenariats et les programmes pour la période de programmation actuelle. Elle continuera dans cette direction lors de la prochaine étape des négociations.
rnPar ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que la Commission révise actuellement le Code de conduite européen sur les partenariats. L'objectif : assurer que des partenariats délibératifs et actifs soient soutenus pour maximiser leur impact lors de la prise de décision politique. Cette révision donnera lieu à des recommandations pour mieux ancrer le principe de partenariat dans la prochaine période de programmation, et assurer que les partenaires au niveau local et régional soient dûment impliqués par les Etats membres.
D'après vous, les collectivités territoriales devraient-elles d’être tenues responsables lorsque le niveau national ne respecte pas l’Etat de droit ou les conditions du Pacte de Stabilité et de Croissance ?
rnLes finances locales, régionales et nationales sont clairement liées et entremêlées : l’évaluation par la Commission du respect du Pacte de Stabilité et de Croissance est menée sur la base de ce que l'on appelle les « dépenses générales des administrations publiques ». Celles-ci comprennent chaque niveau de gouvernement, central, régional et local.
rnLes dépenses publiques régionales et locales représentent environ 30% des dépenses publiques totales au sein de l’UE, cette part étant plus élevée dans certains Etats membres. L'état des dépenses publiques locales et régionales a donc un impact sur la capacité des Etats membres à respecter ou non le Pacte de Stabilité et de Croissance. Cela étant, je tiens à préciser que toute suspension des fonds en cas de non-respect de l’Etat de droit ou des conditions du Pacte serait tempérée par un certain nombre de circonstances atténuantes prenant en compte la situation économique et sociale de l’Etat membre. Les suspensions seraient bien entendu immédiatement levées en cas de retour à l'ordre et au respect des règles.
rnL’impact sur les collectivités de toute violation de l’Etat de droit au niveau national constitue un sujet qui concerne le cadre institutionnel et légal de chaque Etat membre.
L’UE a soutenu plusieurs agendas mondiaux (Habitat III, Accords de Paris sur le climat) qui mettent en valeur le rôle des collectivités. Comment est-ce que la future politique de cohésion pourra assurer ces engagements vis-à-vis de la communauté internationale ?
rnEn effet, l’Union européenne soutient fortement ces agendas. En tant qu’une des plus grandes puissances économiques du monde, il en va de notre responsabilité de contribuer proactivement à rendre notre avenir durable.
rnL’agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable, adopté en 2015, se voit déjà reflété dans de nombreuses politiques de l’UE et intégré dans l’ensemble des dix priorités politiques de la Commission. De plus, en novembre 2016, la Commission a publié sa Communication intitulée « Prochaines étapes pour un avenir européen durable – action européenne en faveur de la durabilité ». Ces initiatives sont autant d'exemples qui démontrent que l’UE est sur la bonne voie pour bâtir un avenir européen durable.
rnCependant, cela ne peut être fait sans l’engagement fort des communes, des villes et des régions. En revenant de Quito, en octobre dernier, où j’étais à la tête de la délégation de l’UE à la conférence « Habitat III » de l’ONU sur le logement et le développement urbain durable, j’ai reçu la confirmation que le changement ne pouvait venir que des acteurs locaux.
rnVoilà pourquoi je crois fortement qu’à l’avenir, la politique de cohésion devrait continuer à s’inspirer du principe de gouvernance en partenariat.
rnRegardez le succès procuré dès le lancement de l’Agenda urbain pour l’Union européenne, qui mettra également en œuvre le Nouvel agenda urbain adopté à Quito. Construit autour de partenariats thématiques, tels que la pauvreté urbaine, l’inclusion des réfugiés, l’adaptation au climat ou la transition énergétique ; l’Agenda urbain européen met les villes, les institutions, les Etats membres et les parties prenantes au même niveau pour trouver des solutions concrètes et améliorer la vie quotidienne de millions de citoyens.
rnJe me suis engagée à défendre une politique de cohésion qui, à l’avenir, continuera à apporter un soutien considérable à une croissance durable et inclusive. Cela nécessite une forte politique de cohésion, et c’est pourquoi la politique de cohésion devrait rester la politique clé européenne d’investissement et d’innovation.
Rendre la politique de cohésion plus visible et attrayante est une des priorités de la Commission. Quel type de communication envisagez-vous de mettre en place ?
rnLa politique de cohésion donne d'excellents résultats sur le terrain, changeant la vie des citoyens européens, grâce à la mise en place d'infrastructures et de services clés à travers les régions européennes, comme l’accès à internet, la rénovation d’écoles ou des réseaux de transports en commun. Malgré un investissement colossal de l’UE, engendrant des retombées positives pour des milliers de communautés, très nombreux sont ceux à travers l’Union qui ignorent les bienfaits procurés par cette politique de cohésion.
rnPour contrer cette tendance, nous proposons de lancer des actions de communication conjointes pour braquer les projecteurs sur la politique de cohésion. Cela comprendra une campagne de communication de terrain, couvrant toute l'UE à travers internet et les réseaux sociaux, et mettant en avant ce qu'apporte la politique de cohésion aux vies des citoyens. Cette action au niveau de l’UE doit nécessairement être accompagnée d’actions aux niveaux national, régional et local.
rnParmi les mesures proposées, citons les versions nationales des prix RegioStars; récompensant des projets de politique de cohésion ayant portés leurs fruits ; une campagne montrant ce à quoi ressemblaient les régions avant et après le soutien de la politique de cohésion ; des débats publics régionaux sur la politique de cohésion ; un concours vidéo sur les réalisations de la politique de cohésion dans chaque Etat membre depuis sa création ; une campagne type « Le saviez-vous ? » montrant certains monuments des plus iconiques ou plus populaires construits, rénovés, soutenus ou lancés avec l’aide de la politique de cohésion.
rnNous explorons actuellement de quelle manière nous pouvons travailler de façon plus proche avec le CCRE, en particulier en ce qui concerne les débats liés à la politique de cohésion au niveau local et régional. Le CCRE, avec son large réseau d'associations de collectivités territoriales, est très bien placé pour organiser de tels débats.
rnLes sujets des débats devraient tourner autour des réalisations de la politique de cohésion à ce jour, mais également des opportunités et des attentes futures à l'égard de la politique de cohésion. Ces débats doivent toutefois être conçus afin de couvrir des sujets qui sont spécifiques à chaque région et municipalité. Tout cela vient en complément, bien sûr, à nos campagnes existantes, telles que « l’Europe dans ma région », les prix RegioStars et la Semaine européenne des régions et des villes.
Le commissaire au budget et aux ressources humaines, Günther Oettinger, et vous-même avez été mandatés pour élaborer un document de réflexion sur l’avenir du financement de l’UE. Quels sont les principaux aspects que vous allez aborder lors de cette réflexion ? Le financement de la politique de cohésion sera-t-il mis sur la table ?
rnCe document de réflexion sur l’avenir des finances de l’UE fait partie d’une série de documents de réflexion qui viennent alimenter les débats sur le Livre blanc sur l’avenir de l’Europe. Il concerne la structure du budget actuel de l’UE et le Cadre Financier Pluriannuel (CFP).
rnL’objectif est clair : explorer la façon dont le budget de l’UE pourrait être adapté afin de mieux adresser les défis à venir et les attentes de nos concitoyens. Quelle est la valeur ajoutée du budget de l’UE ? Quelle est la capacité du budget de l’UE à réaliser ses actions traditionnelles d’allocation, de distribution et de stabilisation ? Comment adresser les écarts à venir, tels que celui résultant du Brexit ? Quelles nouvelles responsabilités et politiques pourraient être envisagées ? Voilà quelques-unes des grandes questions posées dans ce document de réflexion. Et, bien sûr, la politique de cohésion concentrera une partie importante des discussions.
rnLe calendrier pour la proposition relative au prochain CFP dépendra du processus du Livre blanc sur l’avenir de l’Europe et des négociations sur le Brexit avec le Royaume-Uni. En attendant, les discussions s'annoncent difficiles et je continuerai à défendre une politique de cohésion forte, étant donné qu'il s'agit de l’expression la plus concrète et la plus visible de la solidarité européenne. Au vu des défis qui nous attendent, nous en avons plus besoin que jamais.
En tant que commissaire à la politique régionale, quelle est votre vision sur l’avenir de l'Europe et de la politique régionale?
rnUne politique de cohésion forte est plus nécessaire que jamais. Comme mentionné juste avant, elle est l’expression la plus forte de la solidarité européenne. Personne ne peut être laissé pour compte ! Elle montre l’Europe en action partout. Elle rapproche l’Europe, ses valeurs et ses objectifs des Européens.
rnIl s’agit aussi de créer un sentiment d’appartenance, construire un dialogue permanent entre tous les niveaux de gouvernement et impliquer les communautés locales, les entreprises et les parties prenantes dans le façonnement de l’action de l’UE. Nous devons construire de la confiance, nous devons encourager la participation, donner du pouvoir aux gens et aux communautés dans lesquelles ils vivent.
rnIl est grand temps de combler l’écart entre ce que les gens attendent de l’Europe et ce que l’Europe est capable de faire. Parce que l’Europe est incarnée par ses citoyens, parce que la politique de cohésion est conçue pour être mise en œuvre par les citoyens, par les communautés locales et par les entreprises. C'est à eux de tailler sur mesure les investissements nécessaires pour satisfaire leurs besoins spécifiques. Voilà l’Europe que je voudrais voir, et c’est à son élaboration que nous travaillons.
Climate, Sustainable Finance Officer