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Frédéric Vallier : « Les territoires ont une carte à jouer pour sortir l’Europe de la crise »Dans un entretien avec le média français spécialisé en politiques publiques, Acteurs Publics, Frédéric Vallier parle des priorités pour son nouveau mandat en tant que secretaire général du CCRE, ainsi que de différents sujets d'importance pour les collectivités territoriales : les négociations sur le TTIP ou l'initiative de la Commission européenne pour « Mieux légiférer ».

rnRéélu pour six ans, le secrétaire général du Conseil des communes et régions d’Europe, Frédéric Vallier, détaille dans un entretien exclusif à Acteurs publics les priorités de son nouveau mandat à la tête de l'association des collectivités européennes. Il prône notamment une "gouvernance en partenariat" entre les institutions européennes et les collectivités locales, pour sortir de la crise. 

Vous avez été reconduit comme secrétaire général du Conseil des communes et régions d’Europe (CCRE) en juin dernier pour un mandat de 6 ans. Quelles seront vos priorités pour ce nouveau mandat ? 

rnDepuis ma première élection au CCRE fin 2009, beaucoup de crises, économiques, financières, et politiques, ont secoué l’Europe. De la crise grecque aux questions liées à la libre circulation des personnes et à l’accueil des réfugiés, beaucoup de sujets alimentent les doutes par rapport au projet européen. Pour ce nouveau mandat, je veux porter, en tant qu’organisation représentative des territoires, une nouvelle vision, optimiste et visionnaire de l’Europe, qui parte justement des collectivités locales. J’ai donc initié une démarche, qui se prolongera jusqu’à notre prochain congrès en avril 2016, baptisée « L’Europe en 2030 vue par les gouvernements locaux » (« L’Europe en 2030 en débat »), et qui fait appel aux contributions des élus locaux et des associations pour un engagement plus fort des territoires dans le projet européen. Je suis convaincu qu’ils ont une carte à jouer pour sortie l’Europe de la crise. 

Mais les collectivités locales ne sont-elles pas de plus en plus eurosceptiques ? 

rnDes doutes s’expriment en même temps qu’une attente forte, du côté des collectivités comme des institutions européennes. Ces dernières se tournent de plus en plus vers nous, pensant légitimement que nous pouvons apporter des solutions sur la question climatique, le développement économique, l’accueil des réfugiés. Du côté des territoires, il y a cette idée que l’Europe peut offrir des réponses là où les Etats peinent à sortir de la crise. Il y a évidemment des enjeux politiques et il est vrai que les eurosceptiques gagnent aussi du terrain dans les élections locales. C’est un problème qui se pose à chaque scrutin à ceux qui défendent l’idée européenne. 

Vous soutenez notamment l’idée que les collectivités locales grecques sont un élément essentiel pour sortir le pays de l’impasse économique et financière… 

rnOui, et cela n’a pas du tout été pris en compte dans le débat public européen et grec. Le CCRE a réalisé une étude montrant que, là où la moyenne de l’investissement public local dans pays européens oscille entre 50% et 70% de leur investissement public total, en Grèce, il dépasse à peine les 6%. Si on renforce les territoires grecs, qu’on leur donne la capacité à investir pour le développement, on offre une porte de sortie de crise qui paraît évidente. Et cette possibilité existe car les municipalités grecques sont bien moins endettées que leurs consoeurs européennes. C’est un message que je voudrais faire passer au gouvernement français qui s’est beaucoup impliqué dans les négociations sur la Grèce : il faut trouver les moyens d’organiser une forme de décentralisation du pays qui passera aussi par le renforcement des liens avec les collectivités françaises. 
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« Les administrations centrales manquent trop souvent de confiance dans les territoires » 
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Que pensez-vous justement de la dernière réforme territoriale menée en France ? 

rnD’abord il faut prendre conscience qu’elle s’inscrit dans un mouvement européen général de revue des organisations locales. Ces dix dernières années, la majorité des pays européens a mis en place une nouvelle carte territoriale, afin d’améliorer l’efficacité de leur action publique. Tout n’est pas rose cependant. Il y a eu aussi beaucoup de recentralisations, suivant l’idée que les administrations centrales seraient plus performantes que les territoires. Nous combattons évidemment cette idée. Toutes les études que nous avons conduites montrent que les pays européens les plus décentralisés sont aussi les plus développés. Il faut poursuivre ce mouvement de décentralisation en France. 

En ce sens la loi NOTRe récemment adoptée en France vous satisfait-elle ? 

rnPersonnellement je ne suis pas convaincu du progrès de la loi NOTRe par rapport à la décentralisation. Tout comme la question de la taille des régions françaises ne me semblait pas être la question à mettre en premier sur la table. Nos régions étaient de taille comparable avec les landers allemand. Ce qui est différent c’est que le système fédéral accorde plus de capacité d’action, de ressources et de pouvoirs aux landers. Ce n’est pas la superficie qui compte, mais les missions confiées aux territoires par l’exécutif et surtout celles que l’État décide d’arrêter de suivre. 

Mais ce partage des missions bute souvent sur les éternelles tensions entre État central et pouvoirs locaux… 

rnIl est vrai que trop souvent, les administrations centrales, en particulier en France, n’ont pas confiance dans leurs collègues des territoires, voire cultivent une forme de mépris visàvis d’eux. Par réaction, les territoires ont tendance à jouer la carte de l’individualisme en disant qu’ils peuvent tout assumer mieux que l’État. Il faut retrouver la confiance, élément essentiel dans la conduite des affaires publiques, et se mettre autour de la table pour dire qui fait quoi et qui a les moyens de le faire. C’est cette gouvernance en partenariat que nous voulons promouvoir, et qui existe dans beaucoup de pays du Nord qui ont davantage la tradition du consensus. 

Comment les réformes territoriales françaises se distinguent-elles de celles de nos voisins européens ? 

rnIl faut reconnaître une forme d’exemplarité à la France qui a été pionnière dans la construction des intercommunalités. Aujourd’hui beaucoup de pays européens s’intéressent à la mise en place de cet échelon. Bien sûr il y a encore du travail à faire sur les économies d’échelle, mais c’est un modèle qui répond bien aux enjeux de rationalisation de l’organisation territoriale. Les communes restent essentielles pour faire vivre le lien social, mais on pourrait imaginer que les intercommunalités deviennent les structures de base du service public local, tout en gardant des liens de proximité avec le citoyen dans les municipalités. 

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« Les élites françaises ne s’investissent pas assez au niveau européen »
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Dans une récente interview à Acteurs publics, l’ex-président du Conseil italien, Enrico Letta, a estimé que les élites françaises étaient trop absentes des institutions européennes. Partagez-vous cette idée ? 

rnIl est vrai que les élites françaises ne sont pas suffisamment investies dans les institutions européennes. Dans l’Hexagone, ces élites sont formées à gérer l’État central et s’intéressent moins à la gestion des collectivités, même si ça commence à changer. Dans tous les cas, elles se dirigent très peu vers une carrière à l’échelle européenne. C’est aussi lié au fait que l’Europe n’est pas suffisamment apprise dans les grandes écoles. On a encore le sentiment, en France, que tout se décide à Paris, alors qu’il y a un transfert de plus en plus fort de la décision vers Bruxelles. C’est dommage car la France a de très bons exemples de gestion du secteur public à porter au niveau européen. 

Le CCRE entend s’impliquer fortement dans la démarche européenne de « Better regulation » (« Mieux légiférer ») lancée par Jean Claude Juncker, le président de la Commission. Qu’en est-il exactement ? 

rnFace aux critiques sur l’excès de normes et de réglementations en Europe, Jean Claude Juncker a souhaité mettre en place une démarche qui consiste à réduire le nombre de réglementations existantes, et à prévoir l’impact des nouvelles normes européennes sur les territoires en associant le Parlement, la Commission, les États membres et leurs collectivités. Dans cette optique, la première décision a été de construire un registre transparent qui recense les lobbyistes interagissant avec les parlementaires. Une bonne mesure, si ce n’est qu’il a été décidé d’inscrire les gouvernements locaux et régionaux dans ce registre, c'est à dire des entités élues, mises au même niveau que les pétroliers ou les constructeurs automobiles par exemple. Nous nous battons contre cette décision pour pouvoir être pleinement intégrés à cette démarche de meilleure régulation européenne. Il faut savoir que 60% des décisions prises par Bruxelles ont un impact sur la gouvernance locale. 

Le CCRE est également très attentif aux négociations entre l’Europe et les États-Unis sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP)… 

rnNous ne positionnons pas pour ou contre le traité. En revanche, il nous semble crucial de veiller à ce qu’il ne remette pas en cause ce qui a déjà été acté dans les traités européens, c'est à dire la liberté de choix pour les collectivités sur la gestion de leurs services publics. Il faut que les territoires puissent toujours choisir entre une régie, un service concédé, une entreprise publique locale etc. Le TTIP présentait certains risques à ce niveau. Nous avons remporté une première victoire le 8 juillet lorsque le Parlement a voté une résolution excluant les services publics et les services d’intérêt général du champ d’application du TTIP, reconnaissant ainsi l’autonomie des collectivités locales. 
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