Ulrike Guérot : « On devrait établir une république européenne fondée sur ses régions »Quel avenir pour l'Europe ? Dans un article paru dans le nouvel ouvrage du CCRE « Europe 2030 : Les territoires prennent la parole », la politologue allemande, Ulrike Guérot, parcourt différentes questions qui contribueront à façonner l'avenir du projet européen.
rnDans mon livre, je déconstruis l’État-nation et je fonde une république européenne basée sur 50 ou 55 régions européennes, structurées autour des grandes villes et des régions métropolitaines (telles que Londres, etc.).
rnJe voudrais faire revivre les villes européennes telles que Trieste, Istanbul, Prague. Je voudrais repenser les structures de l’Europe par la culture, car lorsqu’on parle d’identité culturelle, c’est dans les villes et dans les régions (Languedoc, Alsace, Tyrol, Bavière, Saxe, etc.) qu’on trouve l’héritage culturel de l’Europe. Tandis que les nations, elles, n’offrent bien souvent que des récits de guerre et de paix.
rnSi on veut préserver l’héritage culturel de l’Europe, si on veut donner une identité aux citoyens, si on veut leur offrir des agoras proches d’eux pour développer la démocratie participative, et si on veut les regrouper sous les mêmes normes, sous un même « toit normatif », mon idée est qu’on devrait établir une république européenne basée sur 50 ou 55 régions, et constituée de deux chambres.
rnUne première assemblée élue au suffrage direct qui serait une chambre des représentants où la voix de chaque citoyen serait prise en compte : un homme, une voix. Cette première assemblée ne serait plus constituée par un système de vote à la représentation proportionnelle comme le Parlement européen.
rnLa deuxième assemblée serait constituée sur la base d’un système de vote où toutes les régions auraient deux sénateurs.
rnOn aurait alors un sénat européen, une chambre des représentants, et nous pourrions élire un président au suffrage universel direct.
rnPar conséquent, nous aurions une république européenne où tous les citoyens seraient égaux devant la loi et souverains, et non les États-nations.
rnJe voudrais souligner que lorsque je parle de l’identité culturelle de l’UE je reprends une vieille idée, parce que les régions étaient là bien avant l’État-nation. Aujourd’hui on croit que l’État-nation était là depuis toujours, mais ce n’est pas le cas : la Savoie était là avant la République française, la Bavière était là avant la Bundesrepublik Deutschland, l’Émilie-Romagne et l’Ombrie étaient là avant la République italienne. Il faut mettre en avant les régions car elles sont notre héritage culturel.
rnQue ce soit bien clair : ce que je préconise, ce n’est pas d’homogénéiser les cultures, mais au contraire de les faire revivre. L’identité culturelle européenne doit être recherchée à travers l’unité normative. Et qu’est-ce que l’unité normative ? C’est l’égalité devant la loi. Nous sommes égaux devant la loi.
rnSi vous êtes en Émilie-Romagne, vous avez la pizza et vous parlez un dialecte italien. Si vous êtes basque, vous avez votre cuisine et votre langue. La diversité culturelle et l’unité normative doivent cheminer main dans la main. C’est ainsi que nous arriverons à mettre en oeuvre ce dont on a rêvé depuis si longtemps, ce qui est repris dans la devise de l’Union européenne : « Unis dans la diversité. »
rnLe populisme reprend des forces en France et ailleurs, car on n‘offre pas aux citoyens la perspective d’une Europe qui fonctionne, où leur région peut parler d’une voix forte ; et où ils seront tous égaux les uns par rapport aux autres, au sein d’une République européenne. En attendant, ils se réfugient dans un rêve nationaliste qui, de toute manière, n’a pas d’avenir dans notre monde actuel.
rnCar nous sommes en train d’assister à la mort des nations, et donc ce que les soi-disant populistes nous offrent c’est de la nostalgie, un retour à un nationalisme qui ne peut pas fonctionner.
rnMais le rêve nationaliste l’emporte en ce moment parce que la réelle utopie n’a pas encore été mise sur la table. L’utopie qui répond à la question suivante : comment est-ce qu’on va reconstruire l’Europe d‘une façon transnationale et démocratique, dans laquelle les régions et les citoyens jouent un rôle à part entière ?
rnOr, c’est justement ce dont je voulais traiter dans mon livre. D’ici 2030, peut-être que l’Europe n’aura pas encore atteint l’égalité entre toutes les nations, mais elle sera en bonne voie d’obtenir la seule chose importante pour une Europe des citoyens : inscrire noir sur blanc, avec un calendrier précis, la volonté des citoyens européens d’être égaux devant la loi, en tant que citoyens européens au-delà des nations, avec une ligne du temps pour mettre en oeuvre cette volonté. C’est cela, la déclaration d’émancipation.
Climate, Sustainable Finance Officer